Um Monstro em Paris / Un Monstre à Paris
Críticas
Le Monstre Émerville
Sur les affiches de pré-production de Un monstre à Paris, il était précisé « Par le réalisateur de Gang de requins ». Qui, pourtant, aurait l’idée saugrenue de se prévaloir d’un des plus faibles des films DreamWorks, réalisé un an après la tornade du Monde de Nemo ? Et qui, surtout, prendrait le risque d’invoquer un tel ratage pour promouvoir Un monstre à Paris qui, quant à lui, est une réussite éclatante et inespérée ?
2011 sera décidément l’année de Paris au cinéma : Woody Allen ressuscite avec Minuit à Paris une ville Lumière de fantasme aux tons doux et nostalgiques, et Martin Scorsese, avec son Hugo Cabret, va faire revivre le Paris de George Méliès. Alors, Woody Allen, Martin Scorsese, Bibo Bergeron, même combat ? Pourquoi pas ?
Et pourtant, le projet Un monstre à Paris pouvait susciter la méfiance : un précédent film à oublier, quelques stars bankable en interprètes vocaux pour faire vendre (Vanessa Paradis, Gad Elmaleh, -M-)… Quel procès d’intention ! Jetons un petit coup d’œil au CV de Bibo Bergeron : non seulement il a réalisé, en 2000, le sympathique La Route d’Eldorado, mais il a travaillé en tant qu’animateur sur de nombreux projets, parmi lesquels on trouve les très estimables Sinbad : la légende des sept mers, Fievel et le nouveau monde de Don Bluth, et le remarquable Géant de fer de Brad Bird.
À voir Un monstre à Paris, le doute n’est guère permis : Bibo Bergeron est entré dans la cour des grands. Avec des références hautement recommandables (King Kong, Le Fantôme de l’opéra, Dr Jekyll et Mister Hyde, Bourvil, et la liste est encore longue), Bibo Bergeron donne naissance à un Paris rêvé, au temps de la grande crue de la Seine de 1910. En mettant le nez dans les expériences d’un savant Cosinus, deux jeunes gens libèrent une créature de cauchemar dans les rues de Paris. De cauchemar ? Pas tout à fait. Car le monstre a été exposé à un produit qui lui donne un talent musical et choral hors du commun – talent que ne manque pas de découvrir la jolie Lucille, la chanteuse-reine de Montmartre. Mais, c’est compter sans l’ambitieux préfet de police de Paris, qui voit dans la créature un marchepied des plus sûrs vers une carrière politique de haut vol…
Mais Bibo Bergeron sait se dépêtrer de ce sujet un rien bateau : Un monstre à Paris étonne, ainsi, par l’inventivité de son script, la rocambolesque suite de mésaventures qui s’emboîtent les unes dans les autres, sans un temps mort, ni sans la moindre artificialité dans le récit. Son rythme rapide n’empêche pas Un monstre à Paris de prendre le temps de construire, au passage, une galerie de personnages crédibles, qui dépassent d’ailleurs bien vite le simple statut de support à voix de stars – sans oublier les personnages secondaires, tous pertinemment écrits, drôles, inquiétants, ou tragiques. Et tout cela, au son du duo Paradis/-M- qui fait mouche…
Dans une capitale aux couleurs chaudes et lumineuses, cette évocation des années folles d’un Paris de rêve est placée, logiquement, sous les auspices d’un onirisme omniprésent. Le dessin des personnages, une caricature tout en rondeur, montre la capacité du réalisateur à donner la vie, à donner un sens à un bestiaire visuellement hors du réel. On avait déjà vu cela chez son compère Brad Bird, dans le merveilleux Ratatouille, déjà sis à Paris, comme dans Les Indestructibles ou Le Géant de fer. Le monde créé par Bibo Bergeron partage ces rondeurs, et le réalisateur n’hésite pas un seul instant à situer sa bondissante intrigue dans l’espace – utilisant par là même la 3D d’une fort intelligente façon. Ce monde doux est pourtant tout en aspérité : Bibo Bergeron fait appel aux recettes du burlesque et du slapstick pour dynamiser son Paris. On y tombe, on y saute, on ne cesse d’y courir, au croisement des films de Buster Keaton et des recettes du serial des années 1930 hérités de Feuillade. Jules Verne n’est jamais bien loin, et l’héritage steampunk[1] de son œuvre transparaît autant dans la voiture-bateau-catapulte-assommoir-à-voleur de l’un des héros que dans les rocambolesques péripéties volantes du finale du film…
De la part des producteurs de EuropaCorp, la boîte-à-Besson déjà responsable de la hideuse aventure steampunk d’Adèle Blanc-Sec, on s’attendrait pourtant à une suite de situations convenues – car on ne dérange pas le spectateur dans le confort de ses habitudes – et d’audaces narratives censurées. Une fois n’est pas coutume, ce serait une erreur, ici : brillamment raconté, parfois d’une originalité folle (on vous laissera, tout de même, le plaisir de la découverte de la nature du monstre…), Un monstre à Paris est un film qui montre que les possibilités esthétiques de l’animation peuvent donner naissance à ce qui pourrait bien être un futur classique. Rien que ça.
Vincent Émerveille, Critikat
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